Se passer des énergies fossiles, oui, mais en prenons-nous le chemin ?
Que l’on soit, ou non, climatosceptique, la guerre d’Ukraine a remis en évidence une donnée
incontournable,oubliée depuis le dernier choc pétrolier: la planète est un monde fermé,ses
ressources ne sont pas infinies.
Les ressources propres de l’Europe sont très limitées.
Pour nourrir sa croissance,elle dépendra de puissances extra-européennes qui ont leur propre agenda.
La disponibilité des ressources nécessaires pourrait remettre en péril l’idéal européen d’un continent
en paix.
Même si on ne sait pas quand précisément, nous pomperons la dernière goute de pétrole vers 2100 , et l'on
s’achemine donc inéluctablement vers le tarissement des énergies fossiles. Il est de la responsabilité de nos générations de s’organiser pour le bien-être des générations suivantes.
L’examen des flux énergétiques français devrait donner des indications sur la trajectoire à suivre.
En 2019, ils se présentaient comme suit (1):
CGDD Bilan énergétique de la France en Mtep en 2019
•L’électricité ne représentait que 25 % de la consommation finale française en 2019 (37,7
Mtep rapportés à 152,2 Mtep); cette électricité étant décarbonée à plus de 90% (nucléaire
et hydraulique). S’obstiner à vouloir la décarboner davantage n’a pas grand sens.
Gaz,
combustion de déchets et charbon n’assurent que des apports marginaux.
•En revanche,il conviendrait d’entretenir ce qui fonctionne, c’est à dire les outils industriels
de la filière électrique.
•Les produits fossiles (gaz et pétrole) assurant 62% de la consommation finale en énergie,la réduction progressive de ces importations signifiera un développement important de la
production électrique et de ses usages (mobilité, industriel...),
•Le tarissement des produits fossiles passera également par la lutte contre les gaspillages.
A cet égard, l'on est frappé par la faiblesse des flux de chaleur commercialisée (moins de 2,5%)
alors que l’urbanisation de la population continue de croître ce qui devrait favoriser les
réseaux de chaleur; une donnée importante est la perte(essentiellement sous forme de
chaleur) de certaines filières, nucléaire notamment.
Pour la production électrique future, tous les moyens de production nationaux d’électricité et de
chaleur neutres en carbone devraient être mobilisés: nucléaire,hydraulique,éolien, solaire,
géothermie, valorisation de déchets...
En 2000, la France était autonome pour sa production d’électricité et exportatrice; les consommateurs français disposaient de l’électricité la plus abondante, la moins chère et plus décarbonée d’Europe; la production de notre électricité et sa distribution était un secteur économique performant que le monde entier nous enviait.
20 ans plus tard, même si la production d’électricité française ne dépend quasiment pas des
hydrocarbures,son prix est maintenant indexé sur le prix du gaz importé massivement par l’Europe.
Le prix de gros de l’électricité a été multiplié par cinq. La distribution d’électricité est devenue un service instable; on nous suggère d’acheter des pulls et des bougies pour aborder l’hiver2022. Enfin EDF, au bord de la faillite, doit être recapitalisé d’urgence.
La production de l’électricité, sa distribution et surtout son prix de marché relèvent désormais
de la compétence européenne à qui les pouvoirs politiques français ont laissé le champ libre,
clairement,au détriment du consommateur français.
La production d’électricité organisée par l’Europe
Depuis 30 ans,des couches de directives européennes contraignantes se sont empilées pour organiser production, distribution et prix de l’électricité. Ces directives étaient sous-tendues par des courants philosophiques dominants au sein des instances bruxelloises. On relève successivement:
- Depuis1991, une libéralisation à tous crins, la marque d’un thatchérisme triomphant. Cette
libéralisation quia touché tous les secteurs de l’économie,s’est attaquée à l’énergie, sur le
modèle de la libéralisation des télécommunications .
Comme résultat de cette libéralisation,l’électricité a été considérée comme une marchandise comme une autre. - Au tournant du siècle, sous leadership de l’Allemagne, largement dominante des instances européennes, une nouvelle doxa anti-nucléaire s’est imposée avec son corollaire, le développement forcené des énergies dites renouvelables. - La lutte pour le climat n’apparaît que très tardivement (2008-2009). Les écologistes réussissent alors le tour de force de fusionner leur combat antinucléaire dans la lutte pour le climat. Afin d’exclure l’énergie nucléaire des filières neutre en carbone.
Ils inventent même à l'échelon européen le concept de DNHS (« Do not harm signifantly : "ne cause pas de dommages irréparables"...) ; la Commission adopte alors un premier "paquet Energie – Climat" où Allemagne, Autriche, Luxembourg..., s’opposent à la demande française d’introduire le nucléaire comme énergie concourant à la lutte contre le réchauffement climatique. Dans le même temps, une nouvelle directive apparait pour renforcer les mécanismes financiers de soutien aux ENR. Outre la libéralisation, soi- disant pour la défense du consommateur, la lutte contre la filière nucléaire de production d’électricité et le soutien corrélatif des ENR restent encore une préoccupation dominante au sein des instances européennes.
Le vote du 14 juin 2022 de deux commissions du parlement rejetant le nucléaire de la taxonomie européenne est à cet égard caricatural.
Cette résolution a été présentée par 5 Allemands, 5 Autrichiens, 2 Luxembourgeois, 2 Danois.... C’est donc sur la base de ces directives successives contraignantes que s’est organisé le marché de l’électricité et le soutien aux ENR, corollaire de la lutte contre la filière nucléaire.
L’organisation du marché est la suivante : - L’électricité ne se stockant pas, le parc électrique est plus ou moins sollicité en fonction de la demande. - La sollicitation s’organise suivant une logique de préséance économique (« merit order»). Cette préséance économique impose que les moyens doivent être sollicités successivement selon l’ordre croissant de leurs coûts variables respectifs. C’est - selon la Commission - ce qui préserve le mieux les intérêts du consommateur européens. Ce mécanisme est d’ailleurs sous la surveillance de la Commission Européenne de la Concurrence ... - Un appel d’offre est organisé d’heure en heure par l’opérateur sur le marché européen en fonction du prix marginal croissant des moyens de production, sur l’ensemble de la zone européenne. - Dans le même temps l’opérateur regroupe également les demandes pour constituer une courbe de demande. L’intersection des deux courbes (electricity supply curve/electricity demand curve) détermine le volume et le prix de compensation (« clearing price ») (cf ci-après) .
Le schéma d’appel d’offre par préséance économique
Ce système fait vivre ensemble deux types de sources
- Des sources intermittentes et non pilotables, les ENR ; ces sources bénéficient de contrats d’achat et de subventions sous forme de prix garanti ou de prix plancher sur longue période,
- Des sources pilotables qui ne bénéficient d’aucun prix garanti, ni de contrat d’achat.
Cette méthode de fixation du marché est donc un système « batard » avec des concurrences non -parfaites entre les acteurs. Elle provoque deux inconvénients majeurs :
Le système organise une rente des ENR au détriment des autres moyens de production.
Compte tenu des réalités technico-économiques propres à chacune des sources, l’ordre de préséance économique, organisé par ordre croissant des coûts variables, est joué d’avance et immuable : d’abord ENR, puis nucléaire, puis centrales au charbon, puis centrale à gaz...
De sorte que les ENR sont prioritaires sur les réseaux d’une part et le prix de marché se fixe automatiquement vers le dernier moyen sollicité, les centrales à gaz, d’autre part.
La rente assurée aux ENR détruit la rentabilité des autres sources.
En effet, compte tenu de l’impossibilité de prévoir la production des ENR, les moyens pilotables deviennent sollicités de façon variable, eux aussi, et voient baisser leurs facteurs de charge effectifs. Or, si un facteur de charge d’un moyen est diminué, par contre coup, ce moyen voit son coût de production augmenter fortement et sa rentabilité s’effondrer.
Pour bien saisir le phénomène, on prendra deux exemples :
- Les centrales à gaz : ces moyens sont situés en « haut » de la courbe de préséance et sont reléguées au rôle de "bouche trou". Leur rentabilité s’effondre et leurs propriétaires les met progressivement sous cocon. Néanmoins, elles sont strictement indispensables pour équilibrer les réseaux à cause de leur qualité intrinsèque de flexibilité (démarrage en 30 mns…).
Le phénomène est devenu tellement prégnant, qu’il a fallu inventer un mécanisme dit « de capacité ». Ce mécanisme consiste à payer des moyens toujours prêts et sollicités au coup de sifflet bref. On paye donc des moyens qui ne fonctionnent que de temps en temps en cas de besoin…Évidemment, le coût de ces mécanismes de capacité se retrouve intégralement sur la facture du consommateur…
- Les centrales nucléaires : vu par les « prévisionnistes » de l’Ademe ou de RTE, l’optimum d’utilisation du nucléaire consisterait à utiliser le nucléaire en suivi de charge et non en base. Cette évolution du rôle des centrales nucléaires dans le mix provoquerait une chute de leur facteur de capacité à 60% environ et non plus au taux de charge historique de 75%. La filière nucléaire serait transformée en variable d’ajustement, évidemment au détriment des coûts de production de cette filière. 95% des coûts de production de cette filière sont des coûts fixes et qu’une centrale produise ou non, le coût pour l’opérateur (et la collectivité) reste invariable.
Le deuxième inconvénient est de rendre invisibles les externalisations propres à chaque source.
Les ENR supposent des transformations profondes et coûteuses des réseaux ; elles requièrent la mise en place de flexibilités nouvelles. L’électricité est payée aux fournisseurs sans aucunement prendre en compte le coût de ces externalités. Tout est renvoyé au coût d’ensemble du système que le consommateur final paiera d’une manière ou d’une autre dans sa facture. Le point le plus préoccupant que l’évolution de ces coûts externes n’est ni prévue, ni encadrée…
"On ne peut donc pas rêver de concurrence plus imparfaite et rien ne permet de croire à un renversement de la tendance vu l’accent mis par la Commission et le Parlement européens sur la promotion des renouvelables en lien avec la lutte contre le réchauffement climatique.
Que ce soit via des prix garantis avec obligation d’achat, à l’instar des prix agricoles au début de la Politique Agricole Commune, ou via des prix de marché associés au versement d’une prime, le financement des énergies renouvelables représente de fait un mécanisme « hors marché » qui rend caduque la logique du « merit order » et celle du coût marginal comme prix d’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité.
En poursuivant plusieurs lièvres à la fois et en s’obstinant à voir dans le marché, même perverti, un mantra incontournable, la Commission a mis en place un mécanisme « perdant perdant » qui inflige une triple peine au secteur : des prix de marché trop bas, des quantités d’énergies renouvelables qui s’accroissent sans lien avec la demande et des technologies liées aux énergies renouvelables qui évoluent « hors marché »."
Les conséquences de la croissance des énergies renouvelables sans lien avec le marché.
Le soutien dont bénéficient les ENR a provoqué un effet d’aubaine et une croissance débridée sur l’ensemble du territoire national qui échappe complètement aux politiques.
Deux exemples, pour illustrer ce propos :
Au plus haut niveau de l’Etat, on a du mal à prévoir le rythme des projets :
- En 2021, les éoliennes terrestres raccordées représentaient une puissance totale de 18 GW,
- Le décret du 21 avril 2021 sur la mise en œuvre de la PPE, prévoyait que la puissance des éoliennes terrestres représenterait en 2028 une puissance comprise entre 33 et 36 GW (un doublement en 7 ans).
- Le 10 février 2022, le futur président de la république dans son discours de Belfort (« Reprendre en mains notre destin énergétique »), aborde le sujet des éoliennes :
« …C'est pourquoi ce qui avait été fixé à horizon 2030, nous allons l'étaler dans le temps. Mais il faut garder un cap. Continuer à avoir là aussi une filière qui se développe et la puissance installée, qui est de 18,5 gigawatts à fin 2021, sera doublée d'ici à 2050. Ce n'est donc pas un doublement en 10 ans qui est demandé, comme nous l'avions initialement considéré… ».
- 4 mois plus tard, un avocat du lobby éolien interpelle le gouvernement (6): « Donnez instruction, Mme la ministre, aux préfets de délivrer les autorisations d’exploiter et assurez les constructions sous recours, pour mettre dès 2022 les 10 GW de projets d’éoliennes terrestres en attente. »
Cela signifie que 55% de la puissance installée est en cours d’instruction et que si on suivait la préconisation du lobbyiste, cette puissance pourrait bondir à 28 GW en quelques mois, marquant une forte avance sur la prévision de la loi PPE ou sur la proposition du Président de la République.
34 GW en 2028 (loi PPE), 36 GW en 2050 (Le Président) ou 28 GW en 2022 (France Energie Eolienne), qui l’emportera ?
L’invasion d’un département ordinaire : la Charente.
La Charente, département rural s’il en est, a vu l’arrivée massive des promoteurs ; les premières arrivées ont été motivées par des conditions politiques favorables (rien à voir avec les conditions météorologiques). A ce jour, sur un territoire de 3.400 km² (3ième circonscription), 175 éoliennes sont raccordées ou en construction, 83 éoliennes sont devant les tribunaux et plus de 200 sont en instruction ou en avant-projet. Quand un territoire est ciblé, plus rien n’arrête le déploiement des projets. La situation de certains départements (Haute Marne, Aisne, Somme, Deux-Sèvres, Vienne…) est devenue caricaturale.
Nous n'allons pas rappeler ici les externalités dramatiques et non chiffrées sur l’environnement ou sur le bilan réel net des émissions de GES sur la planète provoquées par la croissance débridée des ENR.
Intéressons-nous plutôt à leurs conséquences sur le fonctionnement des réseaux ; elles sont au nombre de 4 :
1. L’organisation des réseaux est bouleversée :
Les sources d’ENR sont décentralisées et de faible puissance unitaire. A 90%, elles se déversent sur le réseau d’Enedis, réseau qui n’a pas été conçu pour cela (seule exception, l’éolien en mer qui est raccordé au réseau RTE).
Cette décentralisation est encore plus prégnante avec le solaire PV où la puissance moyenne des sites se monte à 0,02 MW. Elle provoqué une multiplication spectaculaire des raccordements des producteurs : 435.000 pour le solaire (triplement en dix ans), 1700 pour l’éolien et 2200 pour l’hydraulique au fil de l’eau ; tout cela pour une production solaire nette de l’autoconsommation de l’ordre de 5 TWh en 2019. Fin 2019, 26.636 sites sont en attente de raccordement (dont 25.276 pour le photovoltaïque).
Les investissements nécessaires à ces nouveaux raccordements -en très forte croissance- sont à la charge de la collectivité.
2. La hiérarchie architecturale des réseaux est impactée :
Jusqu’à présent, l’électricité était « descendue » en tension. RTE prenait les très hautes tensions en sortie de centrale et après transport, transférait des tensions plus basses vers le réseau ENDIS qui les distribuait aux consommateurs.
Le réseau Enedis étant le principal récipiendaire de cette nouvelle production variable et intermittente, cela conduit à réduire significativement et continûment l’apport (les « injections ») de RTE au réseau d’Enedis et à conduire à une inversion des flux : le « refoulement », c’est-à-dire de l’envoi d’électricité du réseau de distribution vers celui de transport.
Ce phénomène des doubles flux ira en s’amplifiant et le développement des « énergies décentralisées», commence à profondément modifier le rapport entre les réseaux.
Le réseau devra être totalement transformé ; il devra d’abord « remonter » toute la production décentralisée qui ne sera pas consommée localement, l’acheminer et la « redescendre» vers le consommateur non local.
Il faudra donc doubler les transformateurs initialement utilisés pour « descendre » les flux par d’autres qui permettront, au contraire, de les monter. Les réseaux devront devenir «bidirectionnels».
Les investissements nécessaires non maîtrisés et non chiffrés seront à la charge de la collectivité et ce double mouvement ne pourra qu’accroître les pertes par effet Joule, générateur de nouveaux gaspillages.
3. Des sources sans inertie sont impropres à assurer la stabilité de fréquence.
Le système électrique actuel doit sa stabilité surtout à l’inertie de ses sources ; le sujet de la stabilité des sources a été mis en avant dans un rapport commun AIE-RTE « Faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 » (7) - extraits :
Aujourd'hui, la stabilité des grands systèmes électriques interconnectés repose sur les rotors des alternateurs des centrales électriques conventionnelles qui tournent de manière synchronisée à la même fréquence, établie nominativement à 50 Hertz en Europe et dans la majeure partie de l’Asie et de l’Afrique.
Ces machines tournantes contribuent à la stabilité du système en apportant de l'inertie et de la puissance de court-circuit. Ainsi, lorsque le système est confronté à une perturbation, les machines tournantes contribuent automatiquement à stabiliser la fréquence (en libérant une partie de l’énergie cinétique stockée par la rotation de leur rotor) avant que d'autres réserves ne prennent le relais.
En outre, elles peuvent générer leur propre onde de tension et se synchroniser de façon autonome avec les autres sources d'électricité : elles forment naturellement un réseau et sont ainsi dites « grid-forming. Les machines tournantes sont historiquement la pierre angulaire de la stabilité du système électrique.
Les ENR sont raccordés au réseau via des onduleurs qui n’ont aucune inertie, ainsi « À mesure que va croître la part des moyens de production non synchrones, comme l'éolien et le photovoltaïque, les machines tournantes seront moins nombreuses dans le système électrique.
Par ailleurs, ces onduleurs ne sont pas en mesure de générer leur propre onde de tension et dépendent du signal de fréquence donné par d'autres sources de production (comme les centrales conventionnelles) pour fonctionner correctement : elles sont « grid- following.
La stabilité, sujet essentiel, est sans réponse satisfaisante à ce jour; on notera qu’en 2021, pour assurer sa stabilité, le réseau allemand a dépensé plus de 2,3 Milliard d'€.
Quand ce sujet trouvera réponse satisfaisante, les investissements seront encore une fois à la charge de la collectivité.
4. La flexibilité des réseaux n’est plus assurée :
Les ENR sont intermittentes; leur variabilité peut être extrême et non prévisible. Leur faible facteur de charge implique par ailleurs un surdimensionnement de la puissance installée. Dès lors, forte variabilité et surdimensionnement de la puissance provoquent des variations importantes et très rapides de production, passant brutalement de zéro à l’équivalent de la puissance installée. Ces excès ou ces insuffisances sont subis.
Avec un mix faisant la part belle aux ENR, la flexibilité devient alors une question centrale. Si la part reste limitée (on évoque le seuil de 25%), les flexibilités en place (Station de pompage, importations, effacement, centrales de « back up »), permettent de faire face aux difficultés.
Si ce seuil est dépassé, le réseau est exposé à deux risques :
- Production excessive au regard de la consommation - même à la pointe (un black-out a failli se produire en France le 25 avril 2020 à 21:02 quand la fréquence du réseau est tombée à 49,8959Hz à cause de la surproduction incontrôlée due aux ENR),
- Insuffisance (absence simultanée de vent et de soleil)
Les ENR, non pilotables, conduisent souvent à produire trop ou trop peu. Avec un réseau pilotable, l’insuffisance de production était une exception; si les ENR deviennent prépondérantes, ce ne sera plus le cas. Les conditions d’équilibrage du système et sa flexibilité seront bouleversées. Pour pallier ce problème, on évoque le foisonnement et les stockages
Foisonnement, un remède insuffisant :
Le foisonnement (multiplication de sources éloignées aléatoires) est peut-être nécessaire, mais il est largement insuffisant. Cela vaut tant au niveau national qu’européen.
- Au niveau français, il suffit de consulter les bilans mensuels d’Enedis.
- Au niveau européen, même en période hivernale de vents forts, la production éolienne consolidée peut varier quasiment du simple au décuple (par exemple, en 2017, avec 170 GW de puissance consolidée pour 17 pays), la variabilité a été de un à neuf sur quelques jours.
Le problème principal a été celui des déficits à combler par une production d’électricité, quelle qu’en soit la source : recours à des sources de « back up », déstockage national, ou importation depuis les capacités de stockage existantes : stations de pompages suisses, autrichiennes, norvégiennes ou suédoises.…
Une telle situation pourra sans doute faire la fortune des pays les mieux dotés en hydraulique (Suède, Norvège, Suisse, Autriche), qui feront alors figure d’ultimes recours et pourront vendre leur électricité au prix fort, mais c’est surtout la sécurité d’approvisionnement de chacun et celui de la France en particulier qui risquera fort d’être alors en cause.
Le problème vient en plus du fait que les pays limitrophes interconnectés sont tous en même temps engagés dans une même évolution et tous, Allemagne en tête, se retrouveront peu ou prou dans la même situation d’une insuffisance d’offre garantie au niveau européen.
Le foisonnement qui consiste à compter sur l’offre du pays voisin, sera devenu un remède illusoire parce que tous devraient simultanément recourir à l’importation d’électricité pour s’équilibrer à la pointe… et les interconnections payées par la collectivité auront été inutiles.
Les capacités de stockages nécessaires :
D’importantes capacités de stockage seront nécessaires sur le long terme pour assurer le besoin d’équilibre permanent du réseau électrique.
A l’échelle européenne, pour un mix électrique proche de 100% d’énergies renouvelables, les besoins en capacités de stockage pourraient être de 10 à 20 GW de stockage infra journaliers (batteries), 80 à 90 GW de stockage STEP et, à l’échelle de la France, jusqu’à 15 GW de stockage inter saisonnier de type « gaz de synthèse ».
Avec le développement des ENR, la question du stockage devient tout à fait essentielle. Le recours à des capacités de réserve supplémentaires se posera aussi bien pour la France que pour l’Allemagne.
Contrairement à la Suède (39% de l’électricité produite), la Suisse (58%), l’Autriche (60%) et plus encore la Norvège (93%), la France, avec 11%, ne dispose pas d’imposantes capacités de stockage hydraulique, moyen renouvelable et flexible.
Au regard des besoins à venir, tout reste à faire ; les investissements – énormes- ne sont ni dimensionnés ni, a fortiori, budgétés. Ils seront, eux aussi, bien sûr à la charge de la collectivité.
Pour résumer sur les externalités non maîtrisées :
La France, en se soumettant aux directives européennes, a accepté
- Le subventionnement des ENR et
- Les règles du marché européen de l’électricité (préséance économique)
Ce faisant, elle a déclenché une machine infernale : la croissance incontrôlée des ENR. Ce déploiement incontrôlé a des conséquences majeures sur l’organisation, l’équilibrage et la stabilité des réseaux et en final sur la sécurité des livraisons.
Ces « coûts-système » complètement invisibles aujourd’hui, n’émergeront réellement que quand on sera au milieu du gué. Malheureusement, les solutions techniques (stockage, équilibrage, stabilité, transfert d’énergie), sont dans l’ensemble, encore très largement virtuelles.
Laissons à France Stratégie le soin d’enfoncer le clou :
« Sans développement de flexibilités supplémentaires, notre pays devrait alors compter sur les importations, sachant qu’au niveau européen les marges sont également négatives, qu’il ne sera pas toujours possible de compter sur les importations pour boucler l’équilibre offre-demande, et, faut-il le rappeler, que tous les pays ne pourront pas importer en même temps 100 % de leur capacité d’interconnexion. »
Une telle situation pourra sans doute faire la fortune des pays les mieux dotés en hydraulique (Suède, Norvège, Suisse, Autriche), qui feront alors figure d’ultimes recours et pourront vendre leur électricité au prix fort, mais c’est surtout la sécurité d’approvisionnement de chacun et de la France en particulier qui risquera fort d’être alors en cause."
L’OCDE estime que les coûts d’intégration au réseau des renouvelables intermittents représentent au moins la moitié du coût total final de fourniture de l’électricité, soit un doublement du prix de production « aux bornes des centrales »(8).
L’exemple allemand a largement montré que l’insuffisance de flexibilité de leurs réseaux ne peut être palliée que par le recours au gaz. Pour notre production électrique, cela signifierait accepter une «recarbonation» du mix national, le comble de l’absurdité aux yeux de l’opinion publique.
Production et distribution de l’électricité, Il faut que l’Etat reprenne la main.
En 25 ans, l’Etat a progressivement abandonné ses compétences en matière de production et de distribution de l’électricité à l’Europe et les entités européennes, Commission et Parlement, nous ont accablés sous un empilement de directives contraignantes.
Aujourd’hui, EDF est en faillite et le prix de notre électricité a été multiplié par 5 ; il restera durablement à ces niveaux stratosphériques. La France est devenue le terrain de jeu de centaines de producteurs électriques des filières ENR, attirés par l’effet d’aubaine et animés par l’appât du lucre facile et garanti par la collectivité.
Construire à tous crins, des moyens produisant sans lien véritable avec la demande s’apparente à du gaspillage et le système est devenu totalement incontrôlable, au détriment du consommateur français et des émissions de GES.
Si on veut se mobiliser pour les futures générations, comme nos anciens l’ont fait pour nous lors des chocs pétroliers de 1974 et 1979, il faudrait que la production de l’énergie, sa distribution et sa consommation soient replacées dans un cadre propre à préserver l’intérêt général: sécurité d’approvisionnement, universalité et efficacité des services, protection des usagers captifs et notamment des plus faibles, atteinte de la neutralité carbone et préservation de l’environnement ; il ne faudra pas retomber de Charybde en Scylla et éviter de substituer à l’OPEP du pétrole et du gaz actuel de nouvelles dépendances : Lithium, terres rares....
Bref, il faut que l’Etat reprenne la main pour protéger les intérêts nationaux dans le cadre d’une planification digne de ce nom.
Le secteur de l’énergie a été pendant longtemps de la responsabilité de la Direction Générale de l’Énergie et des Matières Premières (DGEMP), elle -même sous la tutelle ministérielle du Ministère de l’Economie et des Finances.
En 2007, pour des raisons d’affichage politique, la tutelle de cette direction a été placée sous la responsabilité du ministère de l’écologie ; cette organisation qui place cette direction stratégique sous la houlette d’un ministère dont la préoccupation pronucléaire n’est pas la vertu dominante, s’est révélée des plus funestes.
Il faudrait maintenant recréer un service public de l’énergie en reconstituant un ministère de plein exercice, ministère technique débarrassé de toute idéologie politique. La production et la distribution de l’électricité doivent se construire dans le long terme et redevenir un service pour tous.
Ce ministère aura à cœur de recadrer les missions des principales entités publiques du secteur : RTE, ENEDIS, ADEME, de prendre ses distances avec les différents lobbies et de remettre à plat une planification digne de ce nom.
De nouveaux modèles économiques doivent être réinventés. Les moyens de production et de distribution doivent être rationalisés. Pour ce faire, les contraintes européennes devront être contournées. La transition ne peut pas être abandonnée aux errements du marché, car elle implique des choix collectifs majeurs qui engagent sur la durée. Elle sera décidée et organisée démocratiquement ou ne pourra pas être.
Les Anglais ont repris leur destin énergétique en main, avant même le Brexit.
En mai 2022, Espagnols et Portugais ont décroché du système tarifaire européen de l’électricité…
Y arriverons-nous ?
Michel FAURE, Ingénieur des Mines (IR) pour Énergie Vérité (Twitter: @EnergieVerite)
(1) CGDD Bilan énergétique de la France en Mtep en 2019
(2) Paul Champsaur qui avait été nommé pour présider une commission pour accélérer la concurrence du marché de l’électricité en France était d’ailleurs président de l’Autorité de régulation des Communications Électroniques et des postes de 2003 à 2008.
(3) Draft Motion for a resolution N° 2022/2594 ; les commission des affaires économiques et monétaires et Commission affaires économiques et monétaires et de la commission de l’Environnement, de la Santé et de la Sécurité.
(4) 2001/77/EC, 2009/28/EC, 2018/2001/EC
(5) Homme politique belge – professeur émérite de l’université de Liège
« Le système électrique européen, un modèle caduc – Revue de l’énergie juillet – Aout 2020
(6) Fabrice Cassin https://www.lemondedelenergie.com/author/fabrice-cassin/
(7) « Conditions et prérequis en matière de faisabilité technique pour un système électrique avec une forte proportion d’énergies renouvelables à l’horizon 2050 », AIE- RTE, janvier 2021
(8) Nuclear energy and renewables, system effects in low carbon electricity systems », OECD, NEA, 2012
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